Interwiew de Manu, ex chanteur des Sherwood Pogo, groupe mythique du punk français, auteur du mémorable titre « Paris-SG », et fondateur du KOB au début des années 1980.
D'où est venue ta passion du football ? As-tu joué en amateur ?
Je suis un passionné de foot. Je suis d'origine espagnole, catalane plus précisément. Mon père et mon frère ont toujours regardé le foot à la télé. Ensuite, j'ai travaillé en usine et j'ai joué deux ans en club, comme goal, à la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT). Je commençais à être punk. Du coup, j'ai découvert l'alcool et les joints et je ratais parfois des matchs parce que je ne me réveillais pas le dimanche matin.
Quand as-tu commencé à entendre parler du PSG ? Par quel biais as-tu fréquenté le Parc ?
La première fois que je suis allé au stade, c'était avec mon frère en 1978, pour PSG/Valenciennes, 4-2, pour la montée. J'avais même pas 15 ans. C'est comme ça que j'ai découvert l'ambiance du stade qui m'a encore plus impressionné que le match lui-même !
Au début, tu allais au Parc en famille ? Avec des potes ? En bande ?
Tout seul. C'est petit à petit que j'ai rencontré des gens du même coin que moi, Colombes, Asnières, La Garenne-Colombes, qui allaient également au Parc. On se retrouvait là-bas, dans la tribune.
Quel type de public se rendait alors au Parc ? Quelle était la politique du PSG à l'égard des jeunes ?
A 17 ans, je suis allé à la boutique du PSG, où ils proposaient des cartes d'abonnement pour les jeunes supporters de moins de 18 ans. À cette époque, la tribune Boulogne n'existait pas encore. On était à la corde. À la saison d'après, comme nous étions beaucoup, ils nous ont mis à Boulogne. On était tous mineurs et sans style particulier.
Comment le K.O.B. est-il né ? De qui était-il composé ? Comment s'intégrait-on au K.O.B ? Est-ce que vous suiviez des modèles de supporters étrangers ?
Je suis parti à Londres. Comme j'avais lu une interview de Jimmy Pursey, chanteur de Sham 69, qui parlait de West Ham, je suis allé voir un match des Hammers contre Leeds. Il y avait une telle énergie dans les tribunes que j'en ai oublié ce qui se passait sur le terrain. A la sortie du stade, je me suis retrouvé au milieu de 500 hooligans qui allaient se taper avec les supporters d'en face, qui chargeaient dans les rues, qui renversaient tout sur leur passage. Je n'avais jamais entendu parler des hooligans auparavant. Punk hooligan, ça avait du sens pour moi, puisque Sham 69 avait sa bande, la Sham Army, les Cockney Rejects pareil ! Quand je suis rentré en France, j'étais bouleversé. Lors d'un déplacement à Tours, qui était alors en première division, on s'est fait casser la tête par un mélange de supporters, de manouches et de bagarreurs tourangeots. Au stade, les flics nous provoquaient. Cet événement a forgé notre identité parisienne contre la France entière, et on a décidé de s'organiser. Un jour, on est allés en déplacement affronter les supporters tourangeots pour nous venger. On avait jeté des fumigènes sur les mecs. Pas mal sont repartis en ambulance. C'est mon premier souvenir de violence extrême.
Est-ce qu'on retrouvait les tribus rock dans le K.O.B. (punk, skin, mods, etc.) ? Quels rapports entreteniez-vous avec la scène musicale punk ? Des groupes fréquentaient-ils le K.O.B.? Et inversement ?
Avec quelques punks, Eric, Chômeur et d'autres, on a fondé le KOP of Boulogne fin 1980. Rapidement, on était une cinquantaine. Deux mecs de mon groupe punk, Sherwood Pogo, venaient. Mais on était un peu une exception parmi les punks quand même. Il y avait aussi des autonomes que j'avais croisés dans des manifs. Il y avait quelques allumés. Chômeur, par exemple, était un électron libre fou. Il était tranquille à côté de moi, et tout d'un coup il partait taper un mec puis revenait s'installer tranquillement. À l'époque, il n'y avait pas de skins. S'il y avait un mec rasé, c'est qu'il était à l'armée. Et il n'y avait pas de groupes, d'associations, de rivalités. On était tous ensemble. On avait graffité les murs de la tribune Boulogne... Sherwood Pogo et Anarchie ! Mais il y avait aussi des supporters qui venaient à la tribune Boulogne mais qui n'étaient pas pour autant d'accord avec la manière dont nous nous comportions.
Vous considériez-vous comme des supporters ou des hooligans ? Les deux ?
Au début, notre grand truc, c'était juste d'être ensemble. On est devenus plus méchants après un match contre Bastia. Les supporters corses sont venus dans notre tribune pour nous bastonner. On n'a rien pu faire parce que les mecs nous ont montré qu'ils avaient des flingues. En plus, ça devait être la quatrième fois que je me faisais piquer mon écharpe. A partir de là, on a decidé d'aller systématiquement envahir les autres tribunes et ramener des trophées, c'est-à-dire piquer les écharpes, les drapeaux et les casquettes des supporters adverses. La plupart du temps, les mecs étaient tellement impressionnés qu'ils ne réagissaient pas. Ils se laissaient dépouiller. Je les déchirais devant eux ou je les ramenais chez moi où j'avais un grand carton rempli de tout ce que j'avais piqué. A cet âge-là, on était en train de forger notre personnalité. On n'avait pas besoin d'idéal pour aller se battre. On venait pour supporter le PSG et pour nous affirmer en tant que mecs. Je buvais plein de Ricard, un alccol qui me rend assez méchant, pour être vraiment chaud. Dans ces conditions-là, la violence arrive vite.
Aviez-vous un code l'honneur ?
“P.S.G.” est le cinquième morceau que j'ai écrit pour Sherwood Pogo. C'est une sorte de code de l'honneur du hooligan. Ne pas s'attaquer aux femmes, aux enfants, aux gens en famille. Dans le morceau, on avait plus ou moins repris un chant de supporters : “On va tout casser, on va tout niquer / Fallait pas venir, il vaut mieux partir.” Le vrai chant, c'est “Ah, il fallait pas, il fallait pas venir / Ah, il fallait pas, il fallait pas y aller / Ça c'est Paris !” De toute façon, les supporters des equipes adverses étaient surpris et avaient peur de nous. Ils n'offraient pas de résistance quand on les dépouillait.
Suiviez-vous le PSG en déplacement ? Comment étiez-vous reçus ?
J'ai fait pas mal de déplacements. Je me souviens qu'on a cassé une bijouterie à Rennes, foutu en l'air les deux étages d'un grand magasin qui se trouvait sur le chemin entre la gare et le stade à Auxerre, forcé les portes d'entrée du stade à Nancy parce qu'on ne voulait pas nous laisser pénétrer, défoncé le train du retour.
Quand les autorités du parc, du club et la police ont-elles commencé à s'intéresser au K.O.B.? Quand ont-elles commencé à réagir en conséquence ?
Au bout de quelques exactions, il y a eu quelques flics dans la tribune. Comme on avait moins de 20 ans, ils se la jouaient devant nous. Ça a renforcé notre idée d'aller au stade comme on va à la guerre. Tant que je suis allé au Parc, personne n'avait l'air de mesurer l'ampleur du mouvement. Longtemps, on n'était pas fouillés à l'entrée. Il n'y avait pas de cloisonnement des tribunes. A la mi-temps, on se baladait sans problème dans les autres tribunes. Il n'y avait pas de grosse présence policière à l'intérieur. Je n'ai jamais été emmerdé par les flics. C'est plutôt nous qui les avons emmerdés. Ça nous est arrivé de les charger, de leur voler leur kepi. Un pote a même volé un flingue à un flic. C'est evident que ça ne pouvait pas durer. Je trouve qu'on bénéficiait d'une impunité assez grave.
Y-a-t-il eu, à un moment, une transformation de la composition du K.O.B. ? Les skins ont-ils réalisé un nettoyage ? Boulogne territoire blanc, cela date de quand ?
A partir de 1982, quelques skins, comme les mecs du groupe R.A.S., ont commencé à venir. Ils n'étaient pas fachos. Puis, il y a eu des skins de la bande des Halles. Certains ont commencé à lorgner vers l'extrême-droite et à vouloir nous faire la guerre. Mais tant que je suis resté au Parc, il y avait toujours des noirs qui venaient. C'est plus tard que les skins ont voulu que Boulogne soit une tribune blanche. Je me souviens d'une fois où des skins étaient accompagnés d'un mec plus vieux, pas rasé mais habillé en imperméable noir, avec une mèche de cheveux, qui désignait d'une main gantée les mecs à qui casser la gueule. A cinq, on s'est passé le mot pour aller les éclater. Rapidement, on s'est retrouvés à plein pour monter, mais les flics, qui commençaient à être plus nombreux, se sont interposés. Un jour, des skins ont pissé du haut des tribunes sur un groupe d'une trentaine de noirs. Après le match, sur le quai, ils étaient là, prêts à se venger en tapant des supporters de la tribune Boulogne, sans distinction. On s'est d'abord enfuis dans le métro. Et puis, on ne voulait pas se laisser faire, alors après avoir déboulonné des bancs, ramassé des trucs sur les voies, on les a attendus et ça a été le pugilat. Le bassiste de Sherwood Pogo avait ramassé une traverse de béton qu'il a balancé sur la porte d'un wagon pour la défoncer. Il y a eu des millions de dégâts. Je me suis fait arrêter et j'ai passé trois jours dans une cage à la préfecture. C'est la seule baston “raciale” à laquelle j'ai participé, mais pas du tout pour des raisons racistes.
Quand as-tu arrêté d'aller au Parc ? As-tu pris du recul ?
En 1984, il n'y a pas eu un match où je ne me suis pas battu avec les skins. En plus, j'allais au Parc avec un cuir sans manches sur lequel était peint dans le dos un punk en train de massacrer un skin avec un couteau. Je me suis battu avec Fabian, avec Batskin. A la fin, on prenait bien soin de nous regrouper avec tous les supporters de notre coin pour arriver en force au stade. Je ne m'habillais plus en punk pour aller au match pour être plus libre de mes mouvements. Je mettais une écharpe autour de l'avant-bras pour cacher une chaîne pendant la fouille. Ça devenait impossible de suivre les matchs. Je passais mon temps à surveiller si je n'allais pas prendre un siège qui volait sur la tête. Du coup, avec des potes, après les matchs du samedi, j'ai fait deux-trois descentes à la sortie du Rose Bonbon, un club de concerts de l'époque, pour casser du skin. J'ai été repéré et après, ils me faisaient chier tout le temps. Une fois, il y a eu une cinquantaine de skins qui sont venus taper, non pas les supporters de l'équipe adverse, mais du Parisien. C'est ce genre de trucs qui a fait que nous, les supporters historiques du PSG, on a decidé de ne plus se rendre au Parc. J'ai été chassé en quelque sorte. En plus, mon groupe, Sherwood Pogo, faisait souvent des concerts le week end. Donc, j'avais de toute façon moins de temps pour aller aux matchs. Mais c'était plus chiant qu'autre chose. Si jamais ça avait été très sérieux, de toute façon, j'avais du répondant dans ma voiture. Chômeur, lui, est resté. Il est devenu skin et a rejoint les autres. Je ne l'ai pas revu depuis 1984.
Quelle impression t'ont fait les évènements du match du Heysel ?
Les blessures graves et les morts, c'est regrettable. C'est un grand gâchis parce que, finalement, les morts sont dûs au fait que beaucoup de gens, pas habitués aux bastons entre hooligans, ont eu peur, ce qui a généré un mouvement de foule. Du coup, des grilles se sont écroulées sous la pression. Moi, je n'ai jamais été plus loin que des coups. On se remet toujours d'un coup de poing ou même d'un bras cassé. Mais on était des fouteurs de merde, sans volonté d'infliger des blessures irréversibles.
Et aujourd'hui, ton retour sur cette période ?
J'ai 44 ans, mais si je me retrouvais dans la même ambiance, au milieu de plein de mecs qui chargent, quelque chose me dit que je pourrais le refaire. Se battre pour s'amuser, ça me semble toujours moins grave que tuer pour du fric par exemple. Après tant d'années, le seul mort qu'il y a eu à un match, c'est un flic qui a tué un supporter par peur.
Considères-tu qu'il y a eu une dérive du hooliganisme ? Comment vois-tu la situation actuelle ?
Ça n'a plus rien à voir ! La politique est rentrée dans le stade alors qu'elle n'a rien à y faire. On était des fouteurs de merde, avec un certain code de l'honneur, et nous n'étions pas racistes. Un raciste, avant d'être un supporter du PSG, est avant tout mon ennemi. La situation actuelle, c'est un peu tout ce qu'on voulait éviter.
Les dirigeants du Parc et du PSG ont-ils une part de responsabilité ?
Bien sûr. Ils ont préféré fermer les yeux. À une époque, les dirigeants du PSG préféraient qu'on parle de leur club, même par la mauvaise publicité du K.O.B. plutôt que le silence.
Aujourd'hui, tu as un fils de 19 ans, qui est en âge d'être hooligan.
J'ai un fils qui est fan de rugby. Il joue au rugby, il fait de la sécu pour des matchs au Stade de France et je pense qu'il ne s'est jamais battu de sa vie... Il est dans un autre état d'esprit.